Avec Delicate, la coupe est pleine : pourquoi on continue de s’infliger American Horror Story ?

Électroencéphalogramme plat

Avec Delicate, la coupe est pleine : pourquoi on continue de s’infliger American Horror Story ?

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Par Delphine Rivet

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Même la performance de Kim Kardashian (qui a surpris tout le monde) ne suffit plus à raviver notre intérêt.

Depuis quelques saisons, American Horror Story n’est plus que l’ombre d’elle-même. Mais jusque-là, même dans ses moments les plus absurdes, elle restait un minimum divertissante. Avec Double Feature, on sentait déjà que le navire prenait l’eau ; ne parlons même pas de la suivante, NYC, qui est passée totalement inaperçue. Avec Delicate, sa douzième saison, elle a complètement lâché la rampe et l’ennui est total. C’est une entreprise de recyclage de thèmes déjà vus, de tropes usés jusqu’à la corde, sans une once de subversion.

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Pire encore, elle semblait avoir pour thème l’agentivité (soit la capacité à agir et à choisir) des femmes sur leur propre corps et la façon parfois répugnante dont les femmes enceintes sont touchées, auscultées, examinées sous toutes les coutures, mais l’idée de départ est complètement brouillée par le fait que la série n’a eu de cesse, depuis douze saisons, d’exploiter leur anatomie en les sexualisant, en les torturant, et souvent les deux à la fois. La différence, c’est qu’elle pouvait se planquer derrière son côté transgressif, protégée par notre regard complice et voyeur.

RIP la subtilité

Non seulement Delicate a abandonné toute subtilité, mais elle adopte en réalité un point de vue qu’elle croit dénoncer. Elle nous montre en effet que les personnes qui volent l’autonomie, et donc plus largement les libertés, des femmes, ce sont d’autres femmes : des sorcières (dont certaines semblent liées par un étrange trait génétique qui prend la forme d’un bouton d’herpès sur le menton ? On n’a pas tout pigé, on l’avoue).

Alors que, s’il y a bien quelque chose qui menace nos droits, notamment reproductifs, ce sont les hommes de pouvoir qui, aux États-Unis par exemple, font tout pour empêcher l’accès à l’avortement, voire à certaines formes de contraception. Cet article de Primetimer prend le parti de regarder cette saison comme une comédie qui embrasserait pleinement son ridicule. Pourquoi pas, après tout, American Horror Story a toujours joué sur son côté “over-the-top”.

Mais dans le cas de Delicate, de nombreux éléments d’écriture et d’interprétation nous font sérieusement douter de cette grille de lecture. Lui prêter ce niveau de subtilité, c’est, selon nous, lui accorder un peu trop de crédit. Absolument rien, ni dans l’histoire qu’elle déroule péniblement, ni dans le jeu de ses actrices, ni dans la mise en scène, et encore moins dans le message qu’elle pense envoyer, ne permet de décréter que cette saison est intentionnellement mauvaise.

Car, le message, parlons-en : là où The Handmaid’s Tale nous avertit sur l’enfer qui se profile sous un régime théocratique tenu d’une main de fer par de puissants et dangereux masculinistes, Delicate nous raconte… quoi au juste ? Qu’il faut se méfier des femmes qui nous entourent ? Que toutes sont nos rivales ? Que la maternité est sacrée et tellement précieuse que seules de viles sorcières pourraient la profaner en interrompant la grossesse ?

Même Kim Kardashian ne peut empêcher ce naufrage

Dès le premier épisode, on avait déjà du mal à se rallier du côté de l’héroïne/victime numéro 1, Anna, tant l’écriture la dessert en la présentant comme une hystérique. Elle passera d’ailleurs les six épisodes suivants (et probablement les deux derniers qui restent) à avoir des hallucinations (une toutes les trois minutes environ, on exagère à peine), faisant d’elle, il faut bien l’admettre, une protagoniste peu engageante. Si l’on ne peut pas se fier à ce qu’elle voit, à quel autre point de vue pouvons-nous alors nous identifier, nous raccrocher ?

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Le jeu d’Emma Roberts n’aide pas à solliciter l’empathie. On ne pensait pas dire ça un jour, mais l’interprétation de Kim Kardashian, qui joue l’impitoyable agente Siobhan, est toujours une respiration bienvenue avec son côté “no bullshit”. Delicate devrait nous faire aimer Anna, on devrait avoir peur et mal pour elle, on devrait la croire. Parce que c’est là un des enjeux majeurs dans la lutte contre les violences faites aux femmes : recueillir leur parole et les croire. Mais cette saison, qui hystérise la grossesse, fait exactement l’inverse.

Dans Delicate, on se rend compte assez rapidement que le malaise ressenti en voyant Anna se faire ravager de l’intérieur par une sonde d’échographie pelvienne (tenue par une femme), ce n’est plus celui des premières saisons, celles qui transgressaient les codes. Car cette scène, pour ne citer qu’elle, qui fait directement écho aux nombreux récits de violences gynécologiques et aux débats qu’ils ont suscités, n’a aucune justification ni aucun message à faire passer. Elle n’existe que pour sa “shock value”. Et c’est à cela qu’est réduite American Horror Story depuis quelques saisons : choquer pour choquer. Où est l’histoire dans tout ça ?

La torture fonctionne : on s’ennuie à mourir

Anna Victoria Alcott, une jeune actrice pressentie pour un Oscar, tombe enceinte. Elle est persuadée que des forces surnaturelles lui veulent du mal. Et, spoiler alert, c’est le cas. Fin du pitch.

Le plus grand reproche que l’on doive faire à Delicate, c’est l’ennui profond qu’elle provoque, et ce, même en vomissant toute l’armada de clichés horrifiques qu’elle a en sa possession – ou qu’elle pompe à Rosemary’s Baby, allant jusqu’à inclure une scène sur le tournage du film, avec Roman Polanski et Mia Farrow. Chaque épisode est plus répétitif que le précédent, et il faut attendre la partie 2 pour qu’on nous balance en vrac quelques explications et antécédents complètement tirés par les cheveux. On souffle. Fort.

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On pourrait rejeter la faute sur Ryan Murphy et Brad Falchuk, les créateurs d’American Horror Story, dont l’acharnement morbide à torturer en particulier les femmes a souvent été critiqué. Mais la série a eu le mérite, au moins à ses débuts, d’honorer à sa manière les scream queens qui ont fait l’âge d’or des films d’horreur ; AHS était sexy et répugnante à la fois, en proposant, qu’on y adhère ou non, une imagerie assez traumatisante.

Pour l’écriture de cette douzième saison, ils ont passé la main à la scénariste expérimentée et productrice Halley Feiffer. On avait l’espoir, avec une showrunneuse et un cast presque exclusivement féminin, que cette libre adaptation de Delicate Condition par l’autrice Danielle Valentine aurait au minimum un propos un peu plus clair sur le droit des femmes à disposer de leur corps. Il n’en sera rien, et c’est sans doute le signe qu’American Horror Story n’a plus rien à nous offrir ni à raconter. Il serait temps de la débrancher au lieu de la laisser (et nous dans la foulée) agoniser de la sorte.

American Horror Story: Delicate est disponible sur MyCanal.