Comment une photo de charme Playboy a défini tout le format JPEG

Comment une photo de charme Playboy a défini tout le format JPEG

photo de profil

Par Pierre Bazin

Publié le

Lena Forsen, ancien playmate suédoise, est devenue le "péché originel de la tech".

En 1972, Lena Söderberg, jeune suédoise de 21 ans, débarque aux États-Unis. Rapidement, elle entre en contact avec le photographe Dwight Hooker qui lui propose un boulot de modèle photographique. À l’époque, l’employeur du photographe, un certain magazine nommé Playboy ne lui dit pas grand-chose. Interrogée par Wired en 2019, elle expliqua tout simplement : “c’était de l’argent, et je n’en avais pas beaucoup“. Elle n’avait jamais fait de photos nue et n’en refera plus ensuite.

À voir aussi sur Konbini

Un an plus tard, une de ces photos de charme se retrouve sur le bureau d’un laboratoire du Signal and Image Processing Institute (dépendant de l’Université de Caroline du Sud). À l’époque, les scientifiques cherchaient les meilleures méthodes, calculs et algorithmes pour numériser des photos physiques. Aussi nous sommes en 1973, et il était apparemment normal d’amener son Playboy au taf pour faire “croquer” les collègues – tous des hommes évidemment.

Un des chercheurs déchire alors une des pages du magazine, celle de “Miss November”, soit Lena.

Il le passe dans un convertisseur pour tester leur nouveau logiciel de compression d’image. Le résultat est excellent. Très rapidement l’image de charme numérisée se passe d’ordi en ordi, de labo en labo, chacun voulant tester ses propres algorithmes pour comparer leurs résultats.

La photo de Lena était un parfait modèle en tout point. Riche en détails, en contrastes, en luminosités variées, en couleurs vives, avec en plus la présence d’un visage humain, l’image parfaite pour ces chercheurs. C’est ainsi que naît le format JPEG, celui qui s’imposera bientôt comme la référence de l’ultra majorité des images présentes sur les ordinateurs et bien sûr d’Internet.

Le “péché originel de la tech”

Pourtant, bien des décennies après, la photo de Lena a continué d’être très largement utilisée par les différents chercheurs en image du monde entier. Dans toutes les conférences sur les traitements d’image numérisée, la photo de charme revenait inlassablement. Réduite à un assemblage de pixels, Lena devint jusque dans les années 2000 (et même un peu au-delà) une icône finalement très déshumanisée au sein de la tech.

En 2019, un court documentaire baptisé “Losing Lena” retrace cette histoire rocambolesque. Outre les faits autour de l’aspect technique de l’image, le court-métrage cherche aussi à dresser un portrait du milieu de la tech d’hier à aujourd’hui. L’image est même baptisée par le documentaire comme “le péché originel de la tech”.

Losing Lena from Losing Lena on Vimeo.

Lena a été ainsi choisie par un milieu exclusivement masculin et le film raconte comment de bien des façons, les femmes ont longtemps été exclues de l’industrie de la tech.

Aujourd’hui, Lena est une rayonnante grand-mère repartie vivre en Suède. Sa photo de charme a peu à peu disparu des logiciels, des conférences et des labos, par souci éthique en partie mais surtout de par son obsolescence technique (des images avec bien plus de pixels sont apparues ensuite). L’intéressée conclut ainsi :

“Il fut un temps où j’étais la page centrale de Playboy […] Mais je me suis retirée du mannequinat il y a longtemps. Il est temps que je me retire de la tech aussi.”

Pour nous écrire : hellokonbinitechno@konbini.com